Sunugal..."notre pirogue"

balade dans les bolongs et la mangrove du Siné-Saloum
 
 
 
Nous venons de quitter l'Armorique secouée par la grisaille des coups de vent d'Automne et posons nos valises dans la case pieds dans l'eau qui nous hébergera.
En langue Wolof "sunugal" signifie "notre pirogue".
 L'expression serait à l'origine du nom donné à la région par les européens. 
 
IL fait 29° et les vagues de l'Atlantique viennent mourir sans heurt à quelques mètres de notre abri parfaitement européannisé. Bien qu'il fasse nuit noire, Anne-Marie ne résiste pas, abandonne les bagages, se jette dans un maillot de bain et en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire se précipite sur la plage.
 L'a complètement oublié l'adage sénégalais " se presser lentement" la nana!
Suit un long cri d'effroi un tantinet inquiètant "M....! les vacances sont foutues, l'a déjà trouvé le moyen de se blesser!"

 
   J'attrape une lampe et me précipite sur la plage pour découvrir A-M pétrifiée au milieu de crabes qui grouillent en tous sens. La lumière de la lampe les fait décamper ouvrant un passage salvateur vers la salle de bain: ce soir ce sera douche!
Au petit matin les bestiaux ont regagné leurs trous, l'eau est incroyablement chaude et le ciel d'une superbe limpidité.
Un pélican pêche sans précipitation devant notre abri et des aigles pêcheurs se jettent sur les bancs de poissons partageant le festin avec nombre de pirogues qui s'activent sous nos yeux. 
   Prudent j'avais pris quelques renseignements, avant de partir, pour louer les services d'un guide avec voiture et éviter le racket que subissent les européens au volant. Babacar m'a été chaudement recommandé sur internet ( source éminemment fiable...)
Je cherche donc l'homme. Sauf que... ils s'appellent tous, pour la circonstance, Babacar! J'ai immédiatement devant moi une dizaine de candidats au statut de guide dûment appointé par un couple  d'européens.
J'en choisi un au hasard  espérant que le recrutement ne se terminera pas en émeute.
 
Babacar me présente sa limousine parfaitement conforme à mes exigences: véhicule en bon état, récent et contrôle technique à jour.
Bon ben c'est une R25, VSOP comme le cognac (c'est à dire 20 ans d'âge), au parebrise fendu recollé au scotch (transparent quand même) compteur bloqué à 480.000Km. Tous les voyants ont rendu l'âme à l'exception du témoin de surchauffe qui lui, curieusement, reste obstinément allumé. Le tachymètre et la jauge à carburant sont inopérants, la banquette arrière s'est désolidarisée du chassis depuis des lustres mais vient, fort opportunément, s'appuyer sur les sièges avant au moindre ralentissement.
Docteur es mécaniques antiques, Babacar, m'assure qu'il n'y a pas mieux.
Tant d'adversité me font osciller la tête.
Ce qui aurait du traduire mon scepticisme est paradoxalement interprèté comme un accord. Me voilà lié à mes engagements.J'en veux à la terre entière et à moi en particulier d'avoir remis mon sort et celui de ma compagne en de pareilles mains.
Force est cependant, de constater que ce Babacar la se montrera d'une efficacité redoutable en tous lieux et d'une gentillesse sans limite; Que nous roulerons carrosse sans réel problème et que je n'aurai qu'une fois à pousser le véhicule au démarrage.  
 
 
 Nous consacrerons notre première sortie à la lagune de la Somone. A l'aube notre piroguier guette notre arrivée et nous embarquons aussitôt. Les aigrettes, pélicans, cormorans, hérons et autres volatiles s'indignent bruyamment de notre passage matinal dans les palétuviers. Les crabes violonistes, parme et violet, nous menacent de leur énorme pince. Un groupe de femmes de l'eau jusqu'à la taille, torse nu et panier sur la tête, traverse la lagune pour aller pêcher des coquillages. Des grappes d'huitres couvrent les racines des palétuviers et les coquilles de coques recouvrent le sol d'une couche épaisse. Notre départ n'est pas passé inaperçu et le retour sur la plage est salué par une armée de vendeurs de colifichets à l'insistance très appuyée mais sans aucune agressivité.     
 L'après-midi Babacar nous emmène  au village de pêcheurs de M'Bour. Sa présence nous permettra de circuler partout sans inquiétude et surtout d'accéder à des endroits où nous n'aurions jamais osé aller. Le contraste est saisissant entre le poisson destiné à l'europe et celui dévolu à la consommation locale: le premier est conditionné en caisses sur les bateaux et transféré dès l'arrivée dans une halle à l'atmosphère et aux entrées contrôlées digne de la criée d'un de nos ports de pêche les mieux équipés. Le second est déversé par paniers à même le sable de la plage où il est écaillé, vidé et découpé au milieu d'une foule bruyante et colorée. Les corps, dépourvus de leurs ailerons, de requins de toutes sortes jonchent le sol donnant une idée du massacre de cette espèce. L'air est imprègnée de la puanteur provenant de la décomposition rapide des déchets.     A l'écart de la plage, loin de tout réseau électrique, de vieux congélateurs écaillés et rouillés rangés dans un ordre sénégalais stockent le poisson en attendant sa vente sur les marchés de la région.
Le chantier naval vaut le coup d'oeil: les pirogues de 10 à 15 m de long sont construites à l'estime. Le calfatage étant assuré par un enduit local fait de sable et de polystirène dissous à l'essence que les ouvriers en shorts et tongues respirent à longueur de journée.Au retour vers le véhicule nous découvrons la taille impressionnante de la famille de Babacar qui nous emmènera, pour saluer sa fratrie, visiter les "bitiks" de ses neveux,oncles, nièces,tantes, frères, soeurs et autres cousins! J'en conclus, peut-être hâtivement, qu'une bonne partie des boutiques de M'Bour appartiennent à la "famille"  
   La brousse nous attend. La route cotière qui nous emmène au marché de Nguièniène est en assez bon état mais nous la quittons assez vite pour une piste défoncée. Nous sommes a quelques jours de Tabaski, l'Aïd sénégalais. De superbes béliers toilettés et enrubannés sont exposés au bord de la route attendant un acheteur. Tout le sénégal est à la recherche de liquidités pour l'achat du mouton y compris les gendarmes qui racketteront par trois fois notre chauffeur. Il ne se départira jamais ni de son calme, ni de son sourire et ira "s'arranger" à l'écart. Il nous explique qu'un couple d'européens dans un véhicule conduit par un sénégalais c'est un jack-pot pour la maréchaussée. Au troisième contrôle il revient cependant dépité: une bonne partie de l'argent que nous lui avons donné s'est évaporée.  
 Le marché de brousse, ou se côtoient sérères, lébous et wolofs est superbe. Chaque ethnie a une activité traditionnelle: les pêcheurs lébous vendent le poisson que nous avons vu à M'bour, les cultivateurs sérères leurs arachides, haricots et manioc et les éleveurs wolofs mettent en avant leurs plus beaux moutons. Anne-Marie achète du mafé, pâte d'arachides grillées qui va fondre au soleil et empester la voiture le reste de la journée. Nous quittons le marché pour rejoindre dans les environs de Joal le très touristique "plus grand baobab du sénégal" Babacar négocie avec les gardiens des lieux notre inévitable obole. L'arbre creux était jusque dans les années 60 le caveau des griots qui, selon la tradition, ne pouvaient être enterrés.Les corps y étaient suspendus de façon à ce qu'ils ne touchent pas terre.    A l'heure du déjeuner notre guide nous invite à manger un excellent poulet yassa plat traditionnel du sénégal. Nous sommes au bord du Saloum et regardons les pirogues surchargées de touristes faire de brefs ronds dans l'eau. Notre providentiel sénégalais nous trouve une pirogue et nous partons, seuls, pour une longue balade dans les bolongs du Saloum où des volatiles de toutes sortes s'envolent bruyamment à notre approche. Un petit billet glissé pour montrer notre satisfaction éclairera d'un large sourire le visage de notre piroguier. Au retour, la vénérable R25 se montrera capricieuse: Il faudra attendre le refroidissement du moteur pour refaire le niveau d'eau et pousser, avec l'aide de locaux, pour qu'elle consente à repartir. Ce sera la seule et unique fois!
 Le lac rose de retba est gris: les pluies trop abondantes ont rendu la concentration en sel insuffisante pour le rendre violacé. On y flotte cependant comme des bouchons. De retour sur la berge nous avons droit à une douche de rinçage consistant en deux seaux d'eau balancés par un sénégalais hilare! 
Nous sommes invités à visiter une habitation traditionnelle et nous y rendons en carriole tirée par un pauvre cheval anémique. 
Dans la cour une ribambelle de gamins, au centre un abri au toit de palme sert de cuisine, réparties sur le pourtour quatre cases abritent les épouses du maitre des lieux. Sur l'aire un rond de grosses pierres forme une mosquée rudimentaire.
Le voyage touche à sa fin, Babacar nous invite chez lui. Un thé nous accueille, charmante attention, il a pris soin d'acheter de l'eau en bouteille capsulée pour le préparer. L'endroit est composé d'une vaste cour où trône un superbe manguier souslequel tout le monde se rassemble. Les cases de parpaings couvertes de tôles ou de palmes se trouvent à la périphérie.
 
Les personnes agées sont en boubous, les bébés s'agitent en t-shirts défraichis sous la surveillance des grandes filles soignées et apprètées à l'occidentale. Les jeunes gens portent pantalons sombres et chemises claires. Etonnant Sénégal qui fait le grand écart entre tradition et modernité sans jamais se départir de son sourire et de sa gentillesse.



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