Sur les chemins de saint Jacques de Compostelle
à pied sur 1500 km
Le chant des étoiles
 
 

 

 

Il est 9h28 et une poignée de secondes lorsque, ce mardi 3 Août, j'arrive au pied de la borne qui marque l'entrée de Santiago. Celà fait 49 jours que j'ai quitté la maison. Ce sont 1500 kilomètres, 2.200.000 pas, deux tubes de voltarène et plusieurs  plaquettes d'anti-inflammatoires. J'ai multiplié les tendinites et suis plus longiligne que jamais.

Je me retourne vers ce long chemin parcouru .

Pendant tous ces jours de marche je me suis passé du superflu et n'ai vécu qu'avec l'indispensable.
Les choses, lentement, ont pris une autre dimension.
 
 
Lundi: dernier check-up, bouclage du sac. Mardi à 6h30, lesté de 10 kilos, je franchis le portail et saute dans l'imprévisible. C'est un moment de grande émotion que j'ai d'abord pris pour le paroxysme du périple, la suite m'apprendra qu'il n'en n'est rien: le chemin réservera d'autres instants tous aussi intenses. Je ne sais pas encore que je vais vivre une violente cure d'austérité, que je vais rencontrer sur le chemin et autour du chemin une multitude d'étoiles dont le chant marquera durablement le noir de mes nuits, que le chemin est une parodie de la vie.  
Parti pour une première étape de 25 km j'en ferai 39 pour cause d'impréparation. La leçon sera rude et m'affectera profondément: aux pieds des Pyrénées mes tendons en souffriront encore!
Fort heureusement la Vendée se montrera très accueillante et très compatissante
 . Les bons samaritains se multiplieront, à mon plus grand étonnement, pour permettre au pèlerin que je suis devenu, de cheminer de plus en plus loin.
La Saintonge, elle, rythmera un chemin paisible, solitaire et bien balisé.
 
Ce ne sera pas le cas du bordelais où la traversée des vignobles, de Margaux notamment, est de nature à vous dégouter à tout jamais de servir un de leur cru à votre table. Les viticulteurs s'opposent à tout balisage. Sur tout mon périple ce sont les seuls 20km où je n'aurai pour tout repère que le clocher, lointain, du prochain village. Les exploitants comprendront peut-être, un jour, que le pèlerin est aussi un criquet que rien n'arrête et que l'absence de chemin n'a d'autre effet que de prolonger le séjour, dans leurs vignes, de ceux qu'ils veulent en écarter.
Je quitte donc sans regret le Bordelais tout en remerciant les hospitaliers  du prieuré de Cayac qui m'offriront 24h de repos indispensables pour composer avec cette double tendinite qui m' accompagnera une large partie du voyage.
 
 J'arrive aux portes des Landes sans savoir que l'enfer m'y attend. Les Landes sont un calvaire: une chaleur caniculaire sans ombre, un isolement total sans possibilité de ravitaillement. Des lignes droites qui semblent élastiques s'étirent à l'infini.
Je suis en pilotage automatique, mettre un pied devant l'autre et recommencer. Je finis par penser que je suis immobile et que c'est la terre qui tourne sous mes pas: l'écureuil dans sa cage. Les ouvriers municipaux de Labouheyre doivent se souvenir encore de mon passage: épuisé et déshydraté ils m'ont vu arriver leur demander de l'eau. Effrayés par mon état ils ont pris mes gourdes et leur voiture pour aller en chercher. La première gourde sera vidée sur ma tête et la seconde bue gouluement. 
 


 L'arrivée à Dax est une délivrance, s'en est fini des pins à droite et du maïs à gauche, à moins que ce ne soit l'inverse. C'est aussi la fin de trois semaines de solitude absolue. J'y rencontre mes premiers pèlerins: Jeff, Flamand , 71 ans, qui rentre, avec 2400km parcourus, vers sa province du Limburg.
Il ne lui reste "que" 1000km...j'apprends la modestie moi qui me croyait pas loin de l'exploit.
C'est l'extraordinaire rencontre avec Frère... JACQUES, franciscain qui chemine en robe de bure
et sandales renouant avec la tradition des ordres mendiants. Je reprends avec lui, là où je les ai laissées quarante ans plus tôt au mont St Michel, les discussions que j'ai eu avec l'abbé des motards fondateur  du pardon de la Madone de Porcaro.
   Le piémont pyrénéen me réconforte physiquement. Il marque la fin d'un chemin austère et solitaire. La halte reposante de St Jean de pied de port laissera le tendre souvenir de la rue de la citadelle où Marie G. me prendra en charge comme un enfant. La bosse pyrénéenne sera passée sans effort mais m'offrira un spectacle époustouflant: La descente du Léopoder vers Roncevaux à travers une fantasmagorique forêt de hêtres baignée de soleil dans un lèger brouillard m'éblouira.
 
 L'Espagne c'est un autre chemin. Il faut composer avec les compagnons d'étape dont les motivations ne sont pas les vôtres. Ca vaut quelques coups de gueule lorsque de bruyants italiens rejoignent leurs lits, tard dans la nuit, sans se préoccuper de la présence d'autres pèlerins. C'est le chemin et ses contraintes. Ce n'est pas le plus facile et je me surprends à reprendre à mon compte ce que Sartre disait: " l'enfer, c'est les autres" La Navarre se pare des superbes maisons basques.
 
 

 
L'arrivée à Pampelone, en pleine féria, est presque un traumatisme.La ville entière sent le vomi, les rues, les places, les espaces verts, sont couverts de papiers gras, de bouteilles, de gobelets et autres détritus. Généralement les libations exagérées ne bouchent que les toilettes. Içi ce n'est pas le cas: les ouvriers municipaux s'acharnent, lors de mon passage matinal, à libérer les égouts!
 La Rioja se montre autrement plus aimable que le Bordelais: de superbes bornes de granit , ornées de coquilles stylisées, canalisent le flot des marcheurs que la bodega d'Irache abreuve gracieusement.
   La péninsule ibérique m'est clémente: j'étais promis à griller sous le soleil Castillan, je n'y ai jamais autant mis ma polaire. Me voilà tout surpris d'enchainer, sans effort, des étapes de plus de 40 km. Mes tendons rechignent un peu mais c'est fou ce que le corps peut se plier aux exigences de l'esprit.
En allant vers l'ouest je deviens l'homme qui marche plus vite que son ombre: elle me précède le matin, est ratrappée à midi et se traine derrière moi le soir. 
 
 Le rythme répétitif des journées: marcher, manger, laver, dormir, me plonge dans un état second.Rien ne me touche, rien ne m'affecte, j'ai un but un point c'est tout. Entre Obama et Estella je m'effondre: pas de doute avec 700km parcourus je suis à mi-chemin. La nouvelle m'assomme.
 La cathédrale de Burgos  me dévoile l'extravagant catholicisme espagnol. Sa visite m'éclaire définitivement sur l'esprit de la réforme de Luther et de Calvin.



 Les étapes s'enchainent les unes après les autres. Les plaines de Castille ne sont ni laides ni monotones. Léon est une ville bonheur. Pontferrada marque la troisième partie du voyage. C'est le point de rassemblement des jeunes espagnols qui pérégrinent a minima pour parfaire leur CV en l'ornant d'une compostella plus ou moins de complaisance. Quoique la Galice soit, après les plaines de Castille et du léon, un hâvre d'eau et de verdure, le parcours tient désormais à la fois de la foire du trône et du camping des flots bleus.
  Le Cebreiro est tout aussi beau qu'inhospitalier: les commerçants, particulièrement désagréables, exploitent sans retenue la rente que leur servent les cheminants. La situation m'exaspère et les étapes s'allongent pour en finir au plus vite.  
Face à la cathédrale je regarde déambuler la foule, bourdon de pacotille à la main, coiffée de feutres bon marché ornés de coquilles.
 Je me sens étranger, je rentre.

Je rentre et pourtant ne suis pas complètement rentré de Compostelle: je me suis débarrassé d'un fardeau.
 
Le poids de l'illusoire, de l'accessoire, je l'ai laissé place de l'obradoiro.
 Au centre, là où l'étoile marque le point zéro.
 

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https://picasaweb.google.com/ladale44/Compostelle15Juin3Aout2010

 



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